« Fais-tu toujours des statues chinoises? » m’a demandé récemment, à un croisement de rues, une personne que je n’avais pas vue depuis une quinzaine d’années.
L’ incompréhension de la question m’a poursuivie au delà de la perplexité dans l’instant. Repoussant de mois en mois (d’année en année) la mise place d’un site web au motif essentiel que la question de la vitrine posée par les sites d’information sur les travaux d’artistes est à replacer dans le contexte bien plus élargi du display, je ne parvenais pas à me résoudre à user du web comme catalogue. J’ai ainsi pris la décision de concevoir un archivage sous forme de blog après cette question de coin de rue.
La temporalité calendaire imposée et les mises en page simplifiées offertes par les outils de blog open source m’ont semblé permettre d’essayer de mener un travail de recueil de documents tout en réfléchissant à ce qui s’y déroule. Je n’ai jamais été intéressée à la conservation et l’organisation des différentes pièces produites depuis plus de vingt ans. Toujours immergée dans les travaux en cours, l’archivage de mes propres objets me semblait une perte de temps car il ne prenait pas sens en tant qu’action. Travaillant depuis quelque temps sur une pièce en ligne, Magellan optimentalement, qui tente de penser les structures temporelles des outils numériques, la mise en place de ce blog m’est apparue comme un moyen parallèle de réflexion sur ce projet.
It\\\’s a rag-and-bone shop !
C’est l’expression la plus synthétique qui m’est venue à l’esprit pour traduire à la fois la méthode, la forme et le rythme de ce report sur le web de documents de tout type ( avant le numérique ). Le jeu sonore et imagé de la phrase manifeste le mélange hétéroclite ramené par le chiffonnier, le brocanteur, le ferrailleur, le chineur – se distinguant sensiblement du bricolage habituellement revendiqué. Chiner, c’est aussi faire alterner des couleurs sur les fils de chaîne pour composer le dessin du tissage. Ainsi, sont accumulés et classés sans ordre systématique, au hasard des heures et des jours, images et textes qui s’organisent au fur et à mesure de la mise en ligne.
Le temps de l’archivage suit le principe calendaire du blog qui produit l’enchevêtrement des rubriques – la première visible est la dernière déposée. C’est précisément cette structure d’ « objets chronologiquement orientés » qui fait du moment de la mise en ligne la spatialité générale.
La page du blog enregistre verticalement l’empilement irrégulier des projets sans descriptions ni remarques. Les difficultés qui surgissent tiennent surtout au délai – le rythme très irrégulier du dépôt qui marque le temps accordé pour faire cet archivage et le croisement avec les travaux en cours.
Le long rouleau est l’espace de cette temporalité exposée. Le fait de donner accès à l’inachèvement ne se fait pas sans résistance de ma part. Le refus de la forme usuelle d’un site d’artiste contraint à accepter une règle du jeu dictée par les outils employés qui ne permettent que quelques détournements. Cet assujettissement est une donnée contractuelle des outils numériques.
J’ai scanné diapositives, ektachromes et tirages papier des pièces antérieures aux photographies digitales. Ayant toujours été peu enregistreuse des choses réalisées ni dans l’atelier, ni dans les expositions, je dispose d’une documentation assez concise et disparate. Je me contrains à ne pas trier, anticipant le fait que cette opération aboutirait à une disparition des matériaux eux-mêmes, solution radicale à toute tentative d’archivage personnel. Ce faisant, j’ignore si cet édifice de blocs numériques empilés que je mène en rusant avec mon propre goût, va en retour me donner l’élan pour le poursuivre.
Sur les pages statiques, pas de chronologie visible, mais un texte de nature récursive. Il ne s’agit pas d’expliciter ou commenter ce qui est déposé sur le rouleau, mais de présenter les expériences attachées au flux du présent avec ces objets et situations passées. En ce sens, la discontinuité et l’interruption dans la construction de l’archivage sont analogues à la manière dont on abandonne un projet pour courir prendre un train et faire tout autre chose ailleurs.
On ne peut pas être l’oiseau et l’ornithologue. Mais l’oiseau regarde aussi l’ornithologue.